Dis-moi ce que tu votes, je te dirai qui tu es, Épisode 2 

Loi de finances rectificative 2022

En matière de finances publiques, c’est aux représentants du peuple (le Parlement) d’autoriser le gouvernement à engager les dépenses et à prélever les recettes sur une année. Ce sont les lois de finances qui sont votées à l’automne pour l’année suivante. Durant l’année budgétaire, le gouvernement peut solliciter des modifications budgétaires par le vote d’une loi de finances rectificative. Analyser le budget de l’État, c’est mettre le doigt sur des choix politiques. Car derrière les chiffes, ce sont des orientations qui sont votées.

Qu’en est-il des votes et interventions à l’Assemblée nationale de M. Laurent Croizier, député de la macronie pour la 1ère circonscription du Doubs ?

Dans le cadre de cette loi, nous allons aborder les aides allouées aux entreprises privées. Elles sont devenues centrales, depuis une vingtaine d’années, dans le budget de l’État, puisque ce poste représente en 2019, 30% des dépenses budgétaires, deux fois plus que le budget de l’Éducation nationale.

À ce sujet, M. Croizier défend « l’open bar » et les méthodes du vieux monde qui consistent à ouvrir le robinet des finances publiques à tout va quand il s’agit de soutenir le capital.

Amendement NUPES pour conditionner les aides publiques aux entreprises à des critères sociaux et environnementaux : M. Croizier vote contre.

Amendement NUPES visant à conditionner le versement des aides de l’État versées aux entreprises à un encadrement des écarts de salaires de 1 à 20 : M. Croizier vote contre.

Amendements visant à conditionner les aides publiques aux grandes entreprises qui n’ont pas versé de dividendes en 2021, à moins d’avoir augmenté les salaires au moins à hauteur de l’inflation : M. Croizier vote contre.

Mais de quel montant parle-t-on ? Les aides aux entreprises, c’est 157 milliards par an. Sans compter les aides déclassées (issues de nouvelles normes fiscales). Tout compris on atteint la somme de 200 milliards par an ! Un pognon de dingue. Un chiffre en pleine explosion, en 40 ans, c’est +1470% d’augmentation des aides publiques. Sans aucune contrepartie.

Premier poste du budget de l’État, les chercheurs de l’IRES (Institut de Recherche Économique et Sociale) estiment à 8,4 % du PIB le montant total des aides publiques reçues par les entreprises. Un montant exorbitant, financé par une hausse de la fiscalité des ménages et par la dette publique, et un dispositif qui est monté en puissance au fil des décennies. Les aides publiques oscillent autour des 30 milliards dans les années 90, une montée en charge à partir de 2001 pour arriver à 100 milliards dès 2008.

Il est aussi intéressant d’observer qu’eu égard à la relative stabilité du taux de prélèvement obligatoire en France depuis plusieurs décennies, cette évolution de la répartition du budget s’est faite au détriment des ménages. On observe donc un transfert de richesses des ménages vers les entreprises privées, via l’impôt sur le revenu et les impôts sur les produits type TVA, taxe sur les produits pétroliers, CSG… Le graphique ci-dessous est particulièrement éloquent sur la contribution à l’effort collectif du fait des politiques qui sont menées depuis plusieurs années.

J’entends alors la petite musique qui consiste à cacher les gros derrière le petit : « Mais Mme Véziès, vous n’y pensez pas ! Il s’agit là d’aider nos entreprises ! Nos PME/TPE, nos artisans, c’est le poumon de notre économie ! Sans eux, pas d’emploi ! Pas de richesse créée. »

Oui, c’est vrai. Nos PME/TPE, nos artisans, commerçants, sont précieux. Nous devons les soutenir. Ils sont une source de création de richesse et d’emplois, tout comme nos salarié.es, sans qui rien ne se fait non plus. Mais au-delà de cet argument, le problème est que précisément, ces aides ne bénéficient pas aux petits entrepreneurs qui triment, eux aussi. Non, les gagnants du gros lot sont bien les grandes entreprises privées qui dans le même temps versent des dividendes et licencient.

A l’heure où j’écris ces lignes, on apprend que Vinci affiche une hausse de 64% de son bénéfice net en 2022, TotalEnergie a réalisé 20,5 milliards d’euros de bénéfices en 2022. C’est le bénéfice net le plus important jamais réalisé par une entreprise française. « Les riches créent des emplois. » C’est tellement vrai que, par exemple, la BNP prévoit la suppression de 921 postes en France quand dans le même temps elle annonce un bénéfice net record de 10,2 milliards d’euros en 2022 ou Disney annonce la suppression de 7000 employés pour devenir plus rentable. 

Qui plus est, aucune étude sérieuse ne vient valider l’efficacité de ces multiples mesures. Car rappelons-nous du fondement idéologique qui est avancé pour justifier ces mesures : la politique de l’offre. Par ces aides, l’objectif est de baisser le coût du travail pour favoriser l’embauche de travailleurs faiblement qualifiés, permettre la baisse des prix et donc améliorer la productivité et la compétitivité. Que ce soit du point de vue théorique ou empirique, les résultats de ces politiques ne sont pas du tout probants, comme le détaille l’étude de l’IRES ou d’autres études.

Ce paragraphe résume bien la situation d’un capitalisme sous perfusion : « Les baisses de prélèvements obligatoires sur les entreprises, qui se révèlent donc être non pas des baisses du coût de travail mais des sortes de « béquilles du capital » destinées à soutenir sa rentabilité et le taux de marge, créent une sorte d’accoutumance, de mise sous oxygène des entreprises, décourageant l’investissement en rendant moins pressant un renouvellement des équipements productifs susceptibles d’améliorer la productivité du travail. Ce faisant, ces politiques contribuent, à leur insu peut-être, à entraver finalement la compétitivité des firmes, ce qui justifie « en réponse » l’adoption de nouveaux dispositifs d’aide et de nouvelles demandes de modération salariale. »

Pour conclure, entendons-nous bien, il ne s’agit pas de supprimer purement et simplement les aides aux entreprises. Mais il s’agit d’instaurer un processus de planification de l’action de l’État avec des objectifs, des critères d’attribution qui en découlent et une analyse des résultats a postériori.

Quels types d’interventions publiques sont-ils souhaitables ? Comment l’État peut-il donner l’élan nécessaire pour engager une bifurcation écologique et sociale de notre économie ? Comment permettre aux aides d’être plus efficaces et de promouvoir également les biens communs ?

À travers la nécessaire planification, il s’agit de fixer les conditions et les perspectives désirables en termes de trajectoire économique en cohérence avec les enjeux sociaux, écologiques et démocratiques de notre époque.

Autre sujet important débattu dans le cadre de ce projet de loi de finances rectificative, le financement de l’audiovisuel public. 9 milliardaires possèdent plus de 90% des médias privés. En investissant dans les médias, l’objectif n’est pas la recherche de rentabilité liée à son exploitation, il s’agit pour eux d’acquérir une zone d’influence. Un canal d’information et de diffusion pour mener leur bataille culturelle. La télévision Bolloré et son empire médiatique sont une illustration flagrante de ce qu’est la bataille culturelle à laquelle se livrent ces milliardaires. Face à cela, nous devons défendre l’audiovisuel public, sa qualité et son indépendance.  Mais là n’est pas le projet du gouvernement qui dans le cadre de ce projet de loi de finances rectificatives et sous l’argument malicieux d’augmenter le pouvoir d’achat des français.es, a acté la suppression de la contribution audiovisuelle, malgré les amendements portés par La NUPES. Dans ce débat plus que symbolique, M. Croizier n’a rien à dire, il était absent sur les bancs de l’Assemblée.

Enfin, je terminerai cette partie sur le projet de loi de finances rectificatives pour 2022 par les discussions autour d’un amendement porté par la NUPES visant à interdire les expulsions locatives en l’absence de solutions de relogement adaptées aux besoins des locataires. À ce sujet, M. Croizier répond : « Quelle blague ! »

Ce qui n’est pas une blague c’est le nombre d’expulsions. 16 700 expulsions ont été effectuées avec le concours de la force publique en 2019, avant la crise du covid, et cela correspondait à une augmentation de 164 % depuis 2001. Le coût est d’abord humain, psychologique mais il est aussi social et même scolaire puisque les expulsions contribuent à l’échec scolaire, s’agissant des familles avec enfants, sans parler de celles qui comptent des personnes vulnérables.

L’amendement n° 351 sera repoussé par la commission et le Gouvernement et ne sera donc pas adopté.

Suite au prochain épisode…

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