Loi de finances 2023 et loi de financement de la sécurité sociale 2023
L’automne est la période où sont abordées les deux grandes lois qui vont déterminer les choix budgétaires du gouvernement : la loi de finances et la loi de financement de la Sécurité sociale. Derrière les chiffres, ce sont bien des choix politiques qui sont réalisés.
Dans cette séquence parlementaire, le gouvernement a eu recours à 10 reprises à l’article 49-3.
En ayant recours à cet article la première ministre Elisabeth Borne engage la responsabilité de son gouvernement sur le texte. En d’autres termes, sans motion de censure contre le gouvernement, votée à la majorité par l’Assemblée nationale, le texte pour lequel le 49-3 a été utilisé, est adopté sans plus de débat et sans vote des représentant.es du peuple. Une arme du parlementarisme rationalisé prévue par le texte constitutionnel de 1958 instituant la 5ème République. Un texte qui fait du Président de la République l’alpha et l’oméga des institutions, un texte qui taille la part belle à un pouvoir exécutif puissant face au pouvoir législatif. Qui plus est, le passage au quinquennat et l’inversion du calendrier électoral à partir de 2002 ont renforcé encore un peu plus les pouvoirs et la place du Président de la République.
La nouveauté depuis juin 2022, une première depuis 20 ans, c’est un gouvernement sans majorité absolue à l’Assemblée. Dans ces conditions, la minorité présidentielle adopte une stratégie alternative : se rapprocher de la droite voire de l’extrême droite pour obtenir leurs votes ou passer en force et faire plier la représentation nationale avec le 49-3.
En matière de loi de finances, le 49-3 peut être dégainé autant de fois que le gouvernement le souhaite. En dehors de ce domaine, il ne pourra être utilisé que sur un projet de loi au cours d’une session parlementaire. C’est donc pour ne pas griller tout de suite son joker du 49-3, que le gouvernement a choisi l’utilisation de l’article 47-1 de la Constitution pour le projet de loi sur la réforme des retraites en cours d’examen au Parlement. Un autre outil au service de l’exécutif pour empêcher tout débat réel au Parlement. Qui plus est dans ce cas, un outil détourné qui n’est pas sans poser de réelles questions quant à la constitutionnalité de la procédure choisie, normalement réservée pour un projet de loi de finances rectificatives. Mais nous aurons l’occasion de reparler de tout ça dans un nouvel épisode de cette série consacrée à ce projet de loi.
Les projets de loi de finances pour 2023 et de financement de la sécurité sociale ont donc été adoptés sans débat sur un certain nombre de sujets et sans vote. Au mépris des amendements qui ont pu être adoptés par la représentation nationale au fur et à mesure de la discussion d’avant 49-3.
Mais comme le dit M. Croizier en plein hémicycle, les multiples 49-3, c’est la faute des insoumis.es : « Parce que les Insoumis ont tout planté ! ». Fallait oser.
Qu’en est-il des positionnements durant cette séquence de M. Laurent Croizier, député de la macronie pour la 1ère circonscription du Doubs ?
Sur le projet de loi de finances 2023, cinq 49-3. Le gouvernement a non seulement souhaité faire plier la représentation nationale, mais qui plus est, il a tiré un trait sur des avancées majeures qui au cours des débats avaient obtenu une majorité à l’Assemblée nationale : instauration d’une taxe sur les superdividendes, 200 millions d’euros pour les Outre-mer où la situation sociale est dramatique, 12 milliards pour la rénovation thermique, le crédit d’impôt pour le reste à charge des résidents d’EHPAD… Tout cela balayé à coup de 49-3.
Sur le plan de l’urgence climatique, les mesures du gouvernement sont ridicules par rapport au retard pris. Rappelons qu’E. Macron et son gouvernement ont été condamnés par deux fois pour inaction climatique. Les enveloppes prévues pour ce qui devraient être de grands chantiers sont minuscules : 500 millions d’euros de plus pour les rénovations, 250 millions pour un « plan vélo », 150 millions pour la biodiversité…
Les dépenses les plus conséquentes prévues dans le budget de l’État pour 2023 sont encore et toujours dirigées vers les plus riches et les grandes entreprises : après la suppression de l’ISF, c’est au tour de l’exit tax d’être supprimée, baisse de l’impôt sur les sociétés, 40 milliards d’euros de cadeaux avec la transformation du CICE (dont on cherche encore les résultats bénéfiques !), 8 milliards d’euros de plus pour les entreprises avec la suppression de la CVAE (Contribution sur la Valeur ajoutée des Entreprises).
Ce budget appauvrit à nouveau le grand nombre au profit de quelques un.es. Il assèche les rentrées fiscales de l’État qui permettent pourtant de financer les besoins collectifs, à commencer par les services publics. Un énième budget austéritaire qui tue à petit feu notre État social. Le gouvernement Borne est le bon élève de la commission européenne, avec en ligne de mire le retour en dessous du seuil des 3% de déficit public en 2027. La trajectoire des finances publiques en macronie est claire : baisses budgétaires pour la plupart des politiques publiques alors même qu’administrations et collectivités subissent de plein fouet les effets de l’inflation sur leurs coûts.
Voilà pour quel projet, M. Croizier a voté durant toute cette séquence. Et voilà ce à quoi il s’est opposé (liste non exhaustive) :
Motion de rejet déposée par Mathilde Panot contre le projet de loi finances du gouvernement qui consacre à nouveau un budget austéritaire : M. Croizier vote contre comme LR et le RN.
Sur le plan fiscal, voici quelques exemples d’amendements pour lesquels M. Croizier a voté contre et qui pourtant sont des points essentiels pour rétablir une certaine forme de justice fiscale dans notre pays.
L’ISF (Impôt de Solidarité sur la Fortune), supprimé durant le premier quinquennat Macron, il est le symbole de la politique fiscale menée par ses gouvernements depuis 2017 : des cadeaux aux plus riches sur le dos des plus pauvres d’entre nous. Rappelons que lors de sa suppression, le gouvernement avait dans le même temps baissé les APL de 5 euros et relevé la CSG sur les personnes âgées. Le bilan de sa suppression est accablant : le rapport de 2020 de France stratégie (organisme rattaché à Matignon) révélait que les revenus des 0,1% des français.es les plus aisé.es avaient augmenté fortement.
Selon le dernier rapport de Oxfam : « depuis 2020, leur fortune (celle des milliardaires français) a augmenté de plus de 200 milliards d’euros, soit une hausse de 58%. Parmi eux, un homme s’en sort particulièrement bien : Bernard Arnault, qui est désormais l’homme le plus riche au monde, avec une fortune équivalente à celle cumulée de près de 20 millions de Français et Françaises. Dans le même temps, les plus précaires sont devenus encore plus pauvres et les inégalités ont explosé avec, en première ligne de ces inégalités, les femmes. Si le gouvernement a dépensé des dizaines de milliards d’euros pour combattre la crise de la vie chère, ce sont les riches qui ont davantage bénéficié des mesures gouvernementales. Selon l’Insee, entre janvier 2022 et juillet 2022, les Français ont perdu 760 euros malgré l’intervention du gouvernement. »
Dans un pays où les inégalités croissent avec une richesse qui se concentre toujours plus au sommet et des pauvres de plus en plus nombreux et dans la précarité, à l’heure où l’on nous dit qu’il faut trouver de nouvelles sources de financement pour faire face à la dette publique, le rétablissement de l’ISF au-delà d’être un symbole est une nécessité. La NUPES a donc défendu plusieurs amendements visant son rétablissement et en liant les questions de justice fiscale et climatique. Par exemple, l’amendement porté par le groupe écologiste prévoyait une taxe pour les ménages détenteurs d’un patrimoine supérieur à 1,3 million d’euros associé à un système de bonus-malus climatique sur le patrimoine immobilier et les portefeuilles de placements. 1,3 millions d’euros de patrimoine. Pas de quoi cacher le petit propriétaire derrière le gros comme les libéraux aiment à le faire !
Sans surprise, M. Croizier a voté contre tous les amendements qui allaient dans le sens d’un rétablissement de l’ISF. Tout comme LR. Le RN s’est soit abstenu, soit voté contre.
Sur ces votes, la minorité présidentielle a évité de peu le camouflet et montré une nouvelle fois sa fébrilité, multipliant les suspensions de séances afin de rappeler ses troupes devant une gauche unie pour faire plier le gouvernement.
Un amendement porté par le groupe socialiste visait à instaurer une péréquation pour plus de justice environnementale en alignant la fiscalité énergétique sur l’empreinte carbone des placements financiers estimée par Greenpeace France. Sachant que le patrimoine financier des 1 % des ménages les plus riches est associé à une empreinte carbone 66 fois supérieure à celle des 10 % les plus pauvres. À elles seules, les émissions de GES associées au patrimoine financier détenu par les ménages assujettis à lʼISF en 2017 représentent environ un tiers de l’ensemble des émissions associées au patrimoine financier des ménages français.
Là encore, pas plus qu’en matière de justice fiscale, M. Croizier ne voit d’intérêt à voter ce genre de mesure qui vise à permettre un partage de l’effort plus rationnel et cohérent au sein de la société dans l’optique de la nécessaire bifurcation écologique.
Autres votes symptomatiques des positions de M. Croizier qui à l’unisson de la macronie refuse d’aller chercher des ressources de financement ailleurs que dans la poche des plus pauvres :
Amendement NUPES visant à supprimer les niches fiscales dont bénéficient les reventes d’œuvres d’art, de collection et d’antiquité (avec seuil déclaratif de 5000 euros par œuvre pour ne pas pénaliser la création des jeunes artistes), sachant que la majorité de ces biens sont entre les mains des 1% les plus riches. M. Croizier vote contre.
Amendement NUPES pour rendre l’impôt sur le revenu plus progressif avec 14 tranches contre 5 aujourd’hui, M. Croizier vote contre.
Arrêtons-nous un instant sur ce point.
En matière de fiscalité, il faut différencier l’impôt proportionnel de l’impôt progressif. Le premier, par exemple la TVA, consiste à appliquer un taux fixe à une base d’imposition. Quels que soient vos revenus et votre situation, vous paierez le même montant de TVA sur des achats similaires. À contrario, l’impôt progressif, par exemple l’impôt sur le revenu (IR), vise à appliquer, par tranches, des taux qui augmentent au fur et à mesure que la base de calcul augmente. Contrairement à l’impôt proportionnel, il a un effet redistributif puisqu’il permet de corriger les inégalités économiques et sociales. Quand on vise l’objectif d’un meilleur partage des richesses, l’impôt progressif est donc un outil de justice fiscale.
Or, la TVA, impôt par définition injuste, représente plus de 38% des recettes fiscales de 2022 et seulement 23% pour l’IR.
Depuis son instauration en 1914, l’impôt sur le revenu a connu de multiples évolutions et débats. Il s’appuie sur deux principes fondateurs : l’aspect déclaratif et sa progressivité pour plus de justice fiscale. Entre 1914 et 1986, le taux marginal atteint plus de 60%. L’imposition réelle des 1% les plus aisés a cru jusque dans les années 80 pour diminuer ensuite. Le mouvement inverse est constaté pour les classes moyennes et modestes. À partir de 1986, l’IR va subir deux mouvements au gré des diverses réformes fiscales qui vont entraîner une baisse de sa part dans les recettes fiscales et une progressivité bien moindre : la diminution du nombre de tranches et le développement des réductions et crédits d’impôts. Or plus il y a de tranches d’imposition, plus la participation à la solidarité nationale et au financement des biens publics se répartit sur un plus grand nombre. De 13 tranches à partir de 1974 (avec une 14ème tranche entre 1982 et 1985 à 65%), nous sommes passés à 7 tranches en 1993 puis 5 depuis 2006 avec un taux maximum d’imposition actuel de 45% pour la tranche au-delà de 168 994 euros de revenus annuels.
Notre programme, L’avenir en commun prévoyait un IR en 14 tranches et impôt universel. En dessous de 4000 € de revenus par mois et par personne, les contribuables paieraient moins quand les autres en paieront plus. Un simulateur de calcul est d’ailleurs disponible en ligne permettant à chacun.e de juger de ce que serait sa nouvelle situation fiscale.
Et pour celles et ceux qui nous opposeraient l’argument de la fuite des ultra-riches français.es, la solution est toute trouvée, elle s’appelle l’impôt universel. Son application prévoit que les français.es expatrié.es paient la différence entre l’impôt pratiqué dans leur pays d’accueil et le barème d’imposition en France. L’impôt universel a donc deux vertus : d’une part, il resserre le lien entre citoyenneté et impôt, et d’autre part il permet de lutter contre l’optimisation et l’évasion fiscale. Une technique que le gouvernement américain n’hésite pas à utiliser avec ses concitoyen.nes depuis 1962.
C’est donc contre ces outils de justice fiscale et de solidarité nationale que M. Croizier a voté contre.
Autres votes :
Amendement pour la revalorisation du ticket restaurant afin de soutenir le pouvoir d’achat et leur donner accès à un repas complet et sain. M. Crozier vote contre.
Dans le même temps, le groupe parlementaire de M. Croizier s’est opposé à la suppression de l’abattement de 40% sur les dividendes alors même que ceux-ci ont explosé ces dernières années. 80 milliards d’euros distribués en 2021 pour le CAC 40 et 17000 emplois supprimés en France, 44 milliards de dividendes au titre du seul deuxième trimestre de 2022. On assiste à un véritable accaparement par le capital des richesses créées par le travail et alors même que les français.es subissent l’inflation. L’argument d’une fiscalité pour favoriser les investissements ne tient pas une minute face aux faits. France Stratégie l’a démontré : rien ne permet d’affirmer qu’une baisse de la fiscalité sur le capital serait favorable aux investissements. La récente étude publiée par Adrien Matray et Charles Boissel, démontre même le contraire : en 2013 la hausse de la taxation s’est traduite par une hausse de l’investissement et donc l’emploi.
Un florilège de vote non exhaustif et donc de positions politiques qui ne laissent aucun doute quant aux priorités politiques de M. Croizier.
Quant au projet de loi de financement de la sécurité sociale, on prend les mêmes et on recommence ! Cinq 49-3 à nouveau.
L’extrait ci-dessous du communiqué de l’inter-groupe NUPES à l’Assemblée est très éclairant :
« Ce projet de loi porte en effet atteinte à l’objectif à valeur constitutionnelle de protection de la santé découlant de l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946 par les dispositions suivantes :
• Le PLFSS entérine une baisse – une fois tenu compte de l’inflation – de 2,6 % des dépenses d’assurance maladie entre 2021 et 2022 alors que les établissements sanitaires et médico-sociaux font face à l’inflation et la hausse de leurs coûts.
• Le PLFSS propose une nouvelle baisse des dépenses d’assurance maladie en 2023, de 5,5 % une fois tenu compte de l’inflation. Une telle baisse est irresponsable dans le contexte de crise hospitalière, de désertification médicale et de pénuries de médicaments que nous connaissons.
• Par ailleurs, le PLFSS prévoit une augmentation très insuffisante du budget dédié à l’autonomie qui ne permet pas de revaloriser les métiers du grand âge, de recruter et d’investir pour garantir des conditions de vie dignes aux personnes dépendantes après le scandale Orpea.
• Enfin, le déremboursement des arrêts maladies prescrits en téléconsultation par un médecin qui n’est pas le médecin traitant, ou par un médecin récemment consulté dégrade l’accès aux soins et empêche les assurés de bénéficier d’une indemnisation pour laquelle ils ont cotisé.
Il porte également atteinte à l’article 14 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, ainsi qu’à l’article 34 de la Constitution. L’examen de ce projet de loi et son adoption ont en effet méconnu le droit d’amendement, la sincérité du débat parlementaire, l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, et les dispositions organiques régissant le budget de la sécurité sociale.
• À cause de l’usage successif de l’article 49.3 sans laisser les débats se dérouler, 87 % de la représentation nationale n’a pu s’exprimer sur l’intégralité du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, ni exercer pleinement son droit d’amendement
• A cause d’usagés répétés de l’article 49.3 avant même que l’examen du texte n’ait lieu, 84 % des dépenses prévues pour 2023, n’ont pas été examinées par l’ensemble de la représentation nationale.
• Des centaines d’amendements intégrés au texte final n’ont jamais été débattus dans l’hémicycle. Certains amendements intégrés au texte n’ont même jamais été examinés par aucun parlementaire !
• Le Gouvernement s’est permis d’imposer des mesures allant à l’encontre de l’avis de la commission des affaires sociales grâce au 49.3, en entérinant le transfert de recouvrement des cotisations de l’Agirc-Arrco vers l’Urssaf alors que les groupes d’opposition en avaient demandé l’annulation en commission. »
Que ce soit pour le budget de l’État ou celui de la sécurité sociale, le projet de la macronie est le même : austérité à tous les étages. Irresponsabilité écologique, injustice sociale et inégalités au menu. Quant aux services publics, seule richesse de celleux qui n’en ont pas et à l’image de l’hôpital public en plein effondrement, ils continuent d’être dépecés.
La suite au prochain épisode….
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